BURN-OUT POST COVID

BURN-OUT POST COVID

A l’heure où tout ce qui n’est pas en story Instagram n’existe pas, il est temps de parler de ce que je n’ai pas voulu m’avouer pendant des mois. Et de le faire exister, une bonne fois pour toute.

13 mars 2020. Il nous est demandé de rentrer travailler chez nous pour une durée de 3 semaines. Il ne nous sera plus jamais demandé de revenir au bureau.

Commence une nouvelle expérience de vie, une nouvelle vie, entre ces 4 murs, dans cet appartement que j’ai choisi et que j’ai aimé dès les premières secondes, dans lequel je n’aurais jamais imaginé passé autant d’heures. Je ne me lève pas plus tard, je n’arrête pas de me préparer le matin. Mais je commence plus tôt. Et je finis plus tard. Finalement, ça a vraiment un côté pratique le télétravail. Et ce qu’on n’a pas le temps de faire la journée, on peut toujours le faire après journée. Donc on se retrouve parfois à s’appeler sur Google Meet entre collègues à 21h. Je n’y vois aucun problème, bien au contraire.

Les 3 semaines se prolongent et se transforment en mois. Mais j’aime cette vie dans mon appartement, avec mon chien qui n’a jamais été aussi heureux et aussi peu seul. Les mesures sanitaires se durcissent, s’assouplissent. On vit au rythme des comités de concertation. Certaines périodes sont plus faciles que d’autres, mais dans l’ensemble, tout va bien. Je vis seule mais je suis bien entourée.

L’été arrive, il fait beau dehors mais je ne fais rien de spécial ce soir-là et je suis donc dans mon lit, mon mac sur mes genoux, en train de travailler toute la soirée. Personne ne me l’a demandé, je le fais de mon propre chef et j’adore mon travail donc je me sens bien. Je m’en souviens comme si c’était hier. Cette situation est arrivée plusieurs fois, pendant plusieurs mois. Et je ne me rendais pas compte de l’erreur que je faisais et des conséquences que ça allait avoir sur ma santé.

2020, c’est une année particulière. On a souvent entendu que c’était difficile pour les jeunes, pour les étudiants, pour les personnes âgées en maison de retraite. Mais 2020, ça a été difficile pour tout le monde. Et aujourd’hui, c’est le récit d’une personne qui vit seule. Et pour ces personnes-là, 2020, ça n’a pas été évident non plus.

En 2020, je prends conscience de la valeur de ce que j’ai et je prends le temps enfin de chérir ce que j’ai déjà, au lieu de toujours vouloir plus, vouloir mieux. Je réalise que mes moments en famille sont ce que j’ai de plus précieux. Que l’amitié de mes meilleures amies m’est essentielle, qu’elles sont un de mes piliers les plus importants et qu’on sera toujours là l’une pour l’autre, quoi qu’il arrive. Je réalise l’indépendance que je prends, la force que j’ai, de tout ce que je suis capable de faire et d’entreprendre seule au quotidien. Je me considère chanceuse d’avoir un travail que j’aime, que j’adore, qui m’épanouit, qui me fait sauter de mon lit chaque matin de la semaine et qui me convient à 300%. J’ai offert à mon chien une vie aux côtés de son maitre 24h/24 7j/7. J’ai vu mes plantes grandir. Je me suis surprise à aimer cuisiner (parfois). J’ai été à la rencontre de mes voisins,…

Les jours s’enchaînent et se ressemblent. Le temps passe vite. J’ai l’impression de me réveiller un matin, de regarder par la fenêtre et de voir que la neige tombe sur mon quartier des Vennes que j’aime tant. Mes collègues sont toujours de l’autre côté de l’écran. On n’a plus le temps de se demander comment s’est passé notre week-end. Pour une agence digitale, le covid n’a évidemment pas vidé nos planning, que du contraire. Nous sommes devenus indispensables pour la plupart de nos clients existants et de nouveaux clients. De nouveaux challenges, de nouvelles missions, c’est excitant. Mais tout ça, derrière mon iMac, seule dans ma salle à manger, pièce qui ne sert plus à partager des moments autour d’une commande Deliveroo depuis longtemps.

Je n’ai pas l’impression que le bureau s’est imposé dans mon appartement de 60m2. Non, j’ai plutôt le sentiment d’être au travail, constamment. Du matin, 7:00 heure de mon réveil, à 23:00, heure où je vais dormir. Et même si je coupe le son de mon ordinateur après 17h, j’entends encore tous ces sons : un mail, un message sur Slack, une mise à jour,… C’est comme si mes collègues et mes clients étaient dans cette pièce, en permanence. Même le soir. Même le week-end.

Les vacances de noël approchent. Ca va faire du bien. Mais je ne peux pas imaginer mes campagnes publicitaires Google tourner sans ma supervision pendant 2 semaines. Mais je me force à ne pas les regarder, c’est les vacances.

Puis 2021. Une nouvelle année, tu parles… On est reparti pour un tour. La reprise, l’excitation qui va avec. Puis je réalise assez vite que rien n’a changé. Toujours en télétravail et le retour en openspace n’est pas pour tout de suite. De nouveaux challenges, de nouvelles missions, mon travail que j’adore toujours autant.

Mais après quelques mois, les choses n’ont plus la même saveur. Mon équipe me manque. Mon travail en équipe me manque. Mes lunch à midi en équipe me manquent. Les ragots du coworking me manquent. Les afterwork me manquent. Ma vie d’avant me manque. Alors… à quoi bon s’asseoir sur cette chaise rose, entre ces 4 murs blancs, encore et encore ? Mais les moments de down ne durent jamais longtemps. Les pensées positives prennent le dessus et la vie étrange qu’on a tous depuis plusieurs mois continue son cours.

21 juin. On est lundi. J’ai du mal à m’y mettre, je suis lente, la motivation n’est pas au rdv. Mais on est lundi. Il a bon dos le lundi.

22 juin. On est mardi. Je décide de travailler sur mon portable pour bosser depuis le canap parce que ce n’est pas la grande forme. Ce jour-là, je n’ai accompli presqu’aucune tâche. Je suis restée devant mon écran, à fondre en larme, au moindre mail, à la moindre notification. Je me sens débordée, dépassée, surmenée, à la moindre demande supplémentaire à mon planning. Il y a quelque chose qui cloche. Le moindre mail est un coup de poignard. Je suis vidée. Les larmes coulent toutes seules. J’ai épuisé toutes mes réserves, toutes mes solutions, toute mon énergie. Mais c’est aussi la culpabilité, la honte, la peur de décevoir, la peur de laisser mes collègues avec une charge de travail supplémentaire, la sensation de se dire « ça ne peut pas m’arriver à moi, à seulement 26 ans ». C’est une tornade de sentiments. Mais c’est surtout, surtout, une fatigue physique et mentale qui parait, sur le moment, insurmontable.

23 juin. Mercredi. Je ne sors pas de mon lit. J’en suis incapable. Je veux rester dans mon lit, je veux rester dans le noir, je veux pleurer en paix, je ne veux entendre personne, je ne veux plus entendre parler de rien. Mode survie activé. J’appelle mon médecin traitant. Il décroche, je fonds en larmes. « Venez à 12:30 ». J’arrive au cabinet, je fonds en larmes. Je résume ma vie en quelques phrases. Il est clair que j’ai besoin d’un break. Je rentre chez moi. Je dois envoyer mon certificat et mon mail à mes patrons. Je ne m’assieds pas sur cette chaise rose, j’en suis incapable. Je ne supporte pas l’idée de toucher ma souris ou mon clavier. Je veux retourner dans mon lit, dormir et tout oublier.

Je suis en burn-out. Aujourd’hui, on est le 30 juillet. Toujours sous certificat. Mon appartement est petit, pourtant depuis le 23 juin, je n’ai plus mis les pieds dans ma salle à manger. Ou dans mon bureau. Je ne sais pas ce qu’il faut dire.

J’avais besoin de vous en parler. De faire exister ce burn-out, que j’enfouis en moi depuis bien trop longtemps. Instagram, c’est cool. Mais en story, je ne suis pas en vacances, je suis en thérapie. Je vais manger avec des copines à midi. Je souris, je profite, ça me fait du bien. La réalité, c’est que je ne dois pas oublier de prendre mes médicaments le matin, sinon rien ne me fera bouger de mon fauteuil. La réalité, c’est qu’après un gros week-end rempli de restos et de moments en famille, je fais une crise d’angoisse qui dure plusieurs heures, tellement les sorties représentent un effort. La vérité, c’est que je dois parfois fermer les fenêtres de mon appartement en plein été parce que je ne supporte pas les bruits de l’extérieur. Que j’arrive 2h en retard à un verre entre potes parce que j’ai été incapable de sortir de chez moi, figée par l’anxiété. Mais il est temps, il est temps, que je sorte de cet appartement, que j’aime tellement, qui est devenu ma prison.

Le burn-out me ronge de culpabilité. Parce que je ne suis pas malade. Mais on me répond toujours « Mais si Flo, tu es malade ». La maladie mentale, c’est compliqué, parce que ça ne se voit pas. Ni pour les autres, ni pour soi. On ne sait pas toujours mettre des mots sur ce qu’on ressent, sur ce qu’on vit. Un jour on se réveille et la vie est belle. Alors on croit que tout va mieux, qu’on est guéri, que notre tête et notre corps sont réparés. Mais la réalité nous rattrape bien vite.

Il manque beaucoup de détails à cette histoire. Et ils ont sûrement beaucoup d’importance. Comme mes fortes fatigues inexpliquées pendant plusieurs semaines. Mes réveils au milieu de la nuit, paniquée et angoissée. L’arrivée de l’anxiété dans ma vie. Des clients plus difficiles à gérer que d’autres. Des périodes de doute. Mon envie de m’habiller et de me préparer le matin qui disparaît, or vous savez à quel point c’est essentiel pour moi. Et j’en passe tellement…

J’ai 26 ans, j’ai un boulot que j’adore plus que tout, et je suis en burn-out.

Je ne suis pas encore guérie, mais un jour ça ira mieux.

Photos prises en hiver 2020 par Barbara Salomé Felgenhauer, entre 2 cookies et nos histoires de vie.